4ème : Rencontre avec un photoreporter 2022-2023
Au printemps 2023, chaque classe de quatrième a pu échanger durant deux heures avec Olivier Jobard ou Michael Bunel, photoreporters de l’association Parole de photographes. Auparavant, les élèves avaient étudié les flux migratoires internationaux, la presse et les médias et, en particulier, la photographie de presse et le métier de photoreporter afin de préparer leurs questions.
jeudi 22 juin 2023
A la croisée du programme d’histoire - géographie, du programme de français, de l’éducation aux médias et à l’information, de l’enseignement moral et civique mais aussi des parcours citoyen et parcours avenir, la rencontre d’un professionnel des médias a toute sa place en quatrième [1]
Pour la cinquième année consécutive, chaque classe a pu poser ses questions à un photojournaliste. Le dispositif proposé par l’association Parole de Photographes s’intitule "A la découverte du monde". Il permet de faire intervenir un professionnel sur un sujet au choix. Lors de sa venue, le photographe projette un ou plusieurs reportages photo et sensibilise les élèves aux problématiques soulevées par ses images. L’action peut-être financée grâce au Pass culture ou via le (dispositif ODE91) du Conseil départemental dans les collèges du 91.
Deux professionnels sont intervenus, l’un pour trois classes et l’autre pour deux. Les reportages présentés portaient sur la thématique des migrants et routes migratoires.
Préalablement, les élèves avaient étudié les flux migratoires internationaux avec leur professeure d’histoire-géographie. Plusieurs séances leur avaient également permis de s’intéresser aux caractéristiques des informations et à leurs conditions de production. Chaque classe avait préparé des questions sur le métier de photographe de presse, ses conditions d’exercice et la situation plus spécifique du photojournaliste rencontré. Les échanges sont aussi nourris par les photographies présentées.
Rencontre avec Olivier Jobard
Le 13 mai 2023, les 4C, 4D, 4E ont rencontré Olivier JOBARD.
Olivier Jobard a commencé son métier de photojournaliste à 22 ans. Après un bac scientifique et une année à l’Ecole Louis Lumière, dédiée au cinéma, à la photographie et au son, il a effectué un stage chez SIPA Press, une agence de photojournalisme où il est resté vingt ans. Aujourd’hui, il travaille essentiellement comme indépendant. Une partie de ses photos et reportages vidéos sont sur son site internet [2].
Le photoreporter a couvert son premier gros conflit en 1992 en ex-Yougoslavie puis travaillé sur des sujets d’actualité. Il a commencé à s’intéresser au sort des migrants dix ans plus tard après un reportage à Calais : « A l’époque, beaucoup des migrants de la "Jungle" étaient issus du continent africain. Ensuite, les populations ont évolué en fonction des conflits : des Syriens en 2015-2016 puis des Afghans et des Soudanais ces dernières années. Ainsi que des Iraniens car le conflit perdure. »
Pour aider à faire connaître ces populations, le chemin parcouru et son issue, Olivier Jobard préfère travailler au long cours en dressant le portrait de migrants et familles. Kingsley, venu du Cameroun, a ainsi été le sujet d’un de ses premiers reportages (2004). Puis Ghorban qui est arrivé seul en France à 12 ans depuis l’Afghanistan et qu’il a suivi durant huit ans (2010). Plus récemment, c’est cette famille de Syriens qui s’est établie en Suède qui a attiré son attention (2015).
Lors des échanges avec les élèves, il a surtout été question des Oromo, originaires d’Ethiopie, qui se déplacent vers l’Arabie saoudite où ils espèrent trouver de quoi vivre. Leur périple commence sous une chaleur écrasante, dans les montagnes désertiques qui marquent la frontière avec Djibouti sur la corne de l’Afrique. Il s’agit ensuite de traverser la mer Rouge via le Golf d’Aden, grâce à de frêles embarcations dans lesquelles ils sont entassés. Dernière étape, le Yémen. Un pays détruit par la guerre civile où ils risquent d’être kidnappés par des passeurs. Rares sont ceux qui rejoignent finalement l’Arabie saoudite.
Olivier Jobard nous parle également de l’Ukraine. Il s’y est rendu en janvier-février 2023 avec l’objectif de raconter comment les adolescents et jeunes adultes continuent leur scolarité malgré la guerre. Il explique : « Les élèves parviennent à garder le contact avec leurs enseignants et leurs camarades grâce à des plateformes, des ENT. Mais en fonction des bombardements et des coupures, il n’est pas toujours évident d’avoir du matériel, de l’électricité ou du réseau pour pouvoir se connecter en même temps. »
Lorsqu’on l’interroge sur les risques de son métier, sa façon de travailler et son matériel, le photojournaliste précise : « Le risque, ce n’est pas ce que je recherche. Mais quand on va dans certains lieux, il faut en être conscient. On a des casques, des gilets pare-balles... On suit des formations pour limiter le danger. Au niveau du matériel photo, j’essaie d’être aussi léger que possible pour me déplacer facilement. La discrétion est importante aussi : j’ai un boîtier qui ne fait pas de bruit au déclenchement et je peux cadrer juste en regardant l’écran, sans porter l’appareil à mon œil. »
Pour communiquer dans les pays non francophones, le photographe utilise l’anglais. Pour traduire dans la langue du pays, il passe par des fixeurs, des personnes, souvent journalistes, qui sont sur les lieux et qu’il paie pour trouver des contacts pour ses reportages : « Plus on parle de langues et mieux c’est. Même si c’est juste pour dire "Bonjour" ou "Comment ça va ?", ça aide à mettre ses interlocuteurs en confiance. Il faut connaître la personne donc passer du temps avec elle et créer du lien pour faire une bonne photo. »
La question de la rémunération est posée. Comme salarié, un photojournaliste commence souvent autour du Smic puis peut faire monter son salaire autour de 3-4 000 € avec l’expérience. En tant qu’indépendant, on arrive à peu près aux mêmes chiffres mais c’est très irrégulier.
Ce qu’il apprécie par dessus tout dans son métier, c’est de pouvoir voyager et rencontrer des gens : « On sait qu’on est utile en apportant ces témoignages... Le plus dur est d’arriver à créer une proximité avec les gens que l’on photographie tout en conservant une certaine distance pour ne pas trop souffrir soi-même de leur situation. » En dehors des reportages, il lit beaucoup, se renseigne sur les pays qu’il va visiter... Tout en ayant la liberté de s’organiser comme il le souhaite pour consacrer du temps à sa famille.
Rencontre avec Michael Bunel
Le 12 mai 2023, les 4A et 4B ont rencontré Michael BUNEL.
Michael Bunel commence par présenter son parcours et ses débuts. Il insiste sur le fait qu’on peut décider de changer de voie, le plus important étant de faire un métier qui plaise. En tant que photoreporter, il faut souvent plusieurs années pour se faire connaître : « Faire des photos, c’est 10 % de mon temps. Le reste, c’est chercher des commandes, me renseigner sur des sujets, voir des expositions, discuter avec des gens… ».
Les photojournalistes peuvent exercer en tant que salariés ou être indépendants.
- Un photojournaliste salarié travaille pour un média donné, il répond aux demandes de sa rédaction et touche le même salaire chaque mois, autour de 2300-2500 € dans un quotidien régional.
- Un photojournaliste indépendant choisit les sujets sur lesquels travailler. Il propose ensuite ses photos à une agence qui fait le lien avec les médias. Ces derniers achètent les photos qui les intéressent et c’est seulement à ce moment là que le photojournaliste est payé. Ses revenus sont donc très différents d’un mois sur l’autre.
Il faut réussir à trouver un équilibre entre ces revenus irréguliers et les frais engagés : « Une photo dans un journal, c’est environ 300 €. Le tarif dépend du tirage du journal (nombre d’exemplaires imprimés), de la taille de la photo… Mais pas du tout des difficultés et de la prise de risque pour la réaliser par exemple. » En général, le photojournaliste ne vend pas une seule photo mais un "portefolio", une histoire sur plusieurs photos, ce qui lui permet de gagner 5 à 6 000 euros. Mais pour prendre ces photos, il a fallu faire des recherches, se rendre sur place en finançant le voyage, la nourriture, un moyen de transport, l’hôtel éventuellement… Ainsi que les fixeurs ou fixeuses, des personnes qui aident à comprendre les codes du pays et trouver des contacts. Un fixeur est payé entre 150 et 1 000 € la journée, un coût qui, s’il est trop élevé, interdit l’accès à certaines zones aux journalistes indépendants.
Grâce à ses photos, Michael Bunel souhaite garder une trace, la mémoire des événements. Il explique : « Certaines peuvent être exposées dans des musées ou même servir de preuves ensuite dans des procès. Je ne veux pas seulement informer mais montrer la réalité, dénoncer ce qui ne va pas. La photographie est selon moi le meilleur moyen de témoigner. La présence de journalistes "témoins" permet aussi, parfois, d’apaiser certaines situations. » Au delà de ses publications dans la presse, le photoreporter cherche à faire exposer ses images, comme actuellement au Musée de l’histoire de l’immigration. Il a aussi publié deux livres. Le plus récent, Rescapé.e.s, carnet de sauvetages en Méditerranée est sorti début mai 2023.
Pour photographier les routes migratoires, il utilise un appareil photo relativement compact et un petit objectif avec une focale courte qui permet à la fois d’être proche de la personne et d’avoir tout l’environnement autour : « On est vraiment immergé dans la scène, c’est ce qui fait aussi mon identité de photographe. Comme les photos en noir et blanc. J’ai commencé ainsi pour mes sujets personnels et c’est resté même si c’est beaucoup moins vendeur que la couleur. »
Et, selon lui, qu’est-ce qu’un bon photojournaliste ? « C’est celui qui ajoute une légende qui permet au lecteur de comprendre ce qui se passe. Trop de confrères se contentent de décrire l’image. Or, il est essentiel d’expliquer le contexte. » Le photoreporter précise aussi qu’il ne retouche pas ses photos. Il les "développe", ce qui consiste à jouer sur l’exposition (éclairer certaines zones, en assombrir d’autres)… Il précise : « retoucher, ce serait retirer un élément qui ne nous plaît pas dans l’image, c’est interdit en photojournalisme ».
Concernant les éventuelles difficultés pour allier vie professionnelle et vie personnelle en tant que photojournaliste ou pour continuer à exercer cette profession exigeante lorsqu’il sera plus âgé, Michael Bunel note qu’il travaille beaucoup, avec parfois de longues absences, mais que son métier le passionne et lui laisse tout de même beaucoup de liberté pour s’organiser lorsqu’il est en France. « Plus vieux, je ferai sans doute des sujets plus locaux, pour lequel je n’aurai pas besoin de courir sous les bombes. Comme ce reportage dans le 93 où j’ai voulu montrer tous les aspects de la religion. Finalement, c’était presque en bas de chez moi ! »
[1] Liens avec les programmes
• Histoire-géographie, thème 2 "Les mobilités humaines transnationales", sous-thème "Un monde de migrants"
• Français : entrée « Agir sur le monde », questionnement « Informer, s’informer, déformer ? » avec étude de documents issus de la presse et des médias
• Éducation aux médias et à l’information : comprendre comment l’information se fabrique, s’initier à la déontologie des journalistes, apprendre à distinguer subjectivité et objectivité, aspects juridiques liés aux images (droit à l’image, droit des images)
• Enseignement Moral et Civique et Parcours citoyen : apprendre à s’informer, construire l’esprit critique en distinguant faits / opinion, prendre part à un débat, respecter les autres dans leur diversité, comprendre le sens de l’intérêt général et la notion de solidarité
• Parcours avenir : focus sur le métier de journaliste et plus particulièrement de photographe de presse.
[2] Dans chaque reportage, cliquer en haut à droite pour faire défiler les clichés
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